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L'Esprit de la terre        

Emil Bock 

L’une des tendances les plus marquantes des âmes de notre époque est ce que l’on pourrait appeler un attachement énergique à la vie de ce monde. Depuis le milieu du XIXe siècle, cette tendance s’est installée comme prédominante dans notre civilisation. Cela a mené, en tout cas dans les pays occidentaux, à un embourgeoisement massif. 

L’on s’adonna au matérialisme avec une brutalité et une passion sans nom. Allèrent de pair une hargne et une colère manifestes et croissantes contre tout ce qui touche et parle de l’au-delà : indifférence, éloignement, voire hostilité ouverte contre le phénomène ecclésial et religieux en furent les conséquences directes. Dans le même temps, les représentations terrestres d’ici-bas prirent de plus en plus un caractère religieux. L’intensité et la passion qui jadis s’étaient déployées dans la vie religieuse vinrent, entre autres, animer les phénomènes de la vie politique. Ce fut par exemple le cas des tendances nationalistes, qui déjà auparavant étaient souvent imbriquées dans la vie religieuse, mais qui trouvèrent là de façon consciente un aspect religieux. Il en fut de même du socialisme et du marxisme qui, se greffant sur une pensée abstraite et sur l’entendement, prirent des formes symboliques et presque cultuelles dans leurs manifestations politiques.

Et pour ce qui est du domaine religieux, l’aspiration demeure à une piété tournée vers ce monde-ci, à une religiosité de la nature. Une sorte de néopaganisme, de religiosité cosmique a surgi souvent en dehors des Églises.

Que ce soit dans le domaine extérieur physique ou dans le domaine religieux, les tendances hostiles à une réalité d’au-delà de la matière indiquent que quelque chose, malgré tout, se cherche. L’âme, à notre époque, ne cherche-t-elle pas inconsciemment, à l’aveuglette, l’Esprit qui vit dans l’être terrestre ?

Par sa Résurrection et par l’Ascension, le Christ est devenu le nouvel Esprit de la Terre, présent en tout lieu. Son être et sa proximité ne se font-ils pas mystérieusement ressentir avec une force nouvelle ? Un grand nombre de ceux qui ne veulent plus rien entendre du christianisme ne sont-ils pas, malgré tout, orientés vers le Christ ? Peut-être même plus que ceux qui sont les chrétiens des Églises ?

Bien comprendre le christianisme, c’est découvrir sa nature cosmique ; c’est la véritable religion de l’au-delà. La célébration, à de nombreux autels, du sacrement chrétien où vit la présence du Christ est la réalisation de l’omniprésence terrestre du Christ, de par sa Résurrection et l’Ascension. Ainsi, le sacrement est la réponse discrète et calme à la grande question qui vit dans le monde extérieur, là où les tendances rivées à ce monde-ci ont pris des formes cultuelles à bien des égards.

Un autre signe caractéristique de cette époque est le caractère de volonté que la vie cultuelle a commencé à prendre, tout d’abord en une progression calme, puis de façon étonnamment subite au début du XXe siècle. Le cérébral fut radicalement rejeté, les idées académiques oubliées. La volonté impulsive prit possession du terrain et ces impulsions tumultueuses entreprirent avec courage et détermination de réaliser quelque chose de « tout nouveau », quasi impossible.

La mise en mouvement des forces de la volonté révèle un symptôme michaélique, pour peu que l’on cesse de ne regarder que les extrêmes, les démonisations et les noirceurs qui existent par ailleurs. De même que Michaël, lors de sa régence en Grèce par exemple, a insufflé à l’homme la force du penser, de même aujourd’hui il tend à inspirer et enflammer le vouloir humain. Même si elle est encore bien souvent une caricature de ce qu’elle devrait être, l’émergence d’une nouvelle faculté de la volonté est en soi aussi un signe annonciateur des nouvelles révélations de l’être du Christ. Le « retour du Christ » n’adviendra pas de l’extérieur, ni dans la sphère du monde sensible, ni dans la sphère du monde suprasensible. De même que le Christ, après sa Résurrection et son Ascension, s’est manifesté aux disciples tout d’abord de façon intérieure-intime, puis a élu demeure dans leurs âmes saisies par le feu de la Pentecôte, de même sa « nouvelle » proximité s’annoncera à travers l’éveil et la mise en mouvement de nouvelles forces au cœur de l’âme humaine. L’on parlera alors d’un « retour du Christ » dans l’intériorité de l’être, en un appel à la conscience pour un événement relevant de la Pentecôte et de ce qu’elle suscite dans l’âme.

Extrait de « L’époque de Michaël » - Emil Bock. Éditions Iona, 2024. 

 

 

 

 

 

 

 

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