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La Pentecôte aujourd'hui - communauté sous le signe de l'individualisme      

Friedrich Benesch 

L’archétype de la fête de Pentecôte qui, dans le Nouveau Testament, surgit des Actes des Apôtres, a tout de suite quelque chose de fascinant : cette présence spirituelle soudaine qui souffle, qui tempête, qui fait descendre des langues de feu sur les têtes et dans les cœurs ; ces cœurs qui s’enflamment à leur tour, exprimant la parole humaine pure, issue du Je libre. Cela a du souffle.

Mais ce souffle, cette lumière, cette libération - ils n’étaient pas simplement là. Ils étaient le résultat d’une très profonde affliction. L’enthousiasme, l’inspiration résultaient d’une crise, d’une catharsis dans les âmes des disciples. On ne peut célébrer la Pentecôte sans ressentir que le pouvoir guérissant de l’Esprit doit être précédé de quelque chose. Cet Esprit a deux noms : il est le guérisseur, mais aussi l’esprit de vérité, à savoir cette force immense qui non seulement éclaire, mais qui pénètre l’obscurité de son éclat.

Durant les dix jours séparant l’Ascension de la Pentecôte, les disciples se sentirent encore plus seuls, plus abandonnés et désespérés qu’ils ne l’avaient été à l’arrestation du Christ, où ils furent dispersés. Car, à la solitude qu’ils ressentirent après Son arrestation, ils avaient pu opposer un dernier reste de compréhension ; ils avaient vécu l’incompréhensible, l’inattendu, pourtant cela avait été une réalité concevable. Lorsque, après avoir traversé la mort, le Christ guérisseur ressuscita, ces hommes, qui avaient été dispersés et seuls, purent vivre d’un seul coup l’expérience spirituelle commune de Sa présence permanente.

Ils devaient alors penser : maintenant le paradis est descendu sur terre et il restera ainsi éternellement. II en fut ainsi pendant quarante jours seulement. Et lorsqu’ils se sentirent à nouveau abandonnés après l’Ascension du Christ ressuscité, ce départ ressenti comme une chute hors du paradis fut, pour eux, un événement bien plus bouleversant que celui de l’arrestation du Christ. Seule la capacité de pouvoir supporter avec humilité et tristesse l’événement de l’Ascension leur permit de vivre les dix jours qui suivirent.

Alors seulement eut lieu la Pentecôte. Pour les disciples, la Pentecôte avait été un commencement ; ce commencement est un archétype pour les prochains millénaires. Dans les âmes des disciples, l’événement de la Pentecôte est caractérisé par trois processus psycho-spirituels fondamentaux.

Provoquée par l’expérience profonde de solitude et d’abandon, une activité psycho-spirituelle se réveilla en chacun d’eux et ils commencèrent à se rappeler tout ce qu’ils avaient vécu sur le plan terrestre et sensoriel aux côtés de l’être divin, pendant sa manifestation humaine sur terre. Tous ces souvenirs étaient illuminés par les paroles qu’il leur avait adressées.

L’intensité des images produisit en chacun d’eux le sentiment de la plus profonde union avec le Christ guérisseur, ce Christ guérisseur qui enflamma le vécu de l’union de Son être avec leur propre être éternel, avec leur propre individualité étemelle, tel le feu d’un amour purement spirituel. Alors, à la lumière de ce feu, réapparurent toutes les rencontres qu’ils avaient vécues avec le Ressuscité au cours des quarante jours qui séparent Pâques de l’Ascension. Ensuite, dans cette lumière et ce feu, ils éprouvèrent le plein éveil de la conscience spirituelle et prirent conscience du vrai sens de tout ce qu’ils avaient vécu avec le Seigneur, au cours de sa vie terrestre. En une illumination subite, ils comprirent son être, son cheminement et son acte. Ils comprirent pleinement qui est cet être. Et c’est ainsi que l’élévation de l’être propre de chacun leur permit d’expérimenter, d’une manière plus individuelle, l’union en communauté avec l’être divin. Et leur liberté pleinement réalisée leur permit d’exprimer, chacun à sa manière, ce qu’ils avaient compris. Ils vécurent, par la parole.

L’harmonie entre la connaissance qui illumine et le sentiment qui réchauffe. C’est cela qui leur donna l’autorité de parler de manière que tout auditeur puisse se sentir touché au plus profond de son être. Un avenir étemel avait commencé à s’exprimer. 

Ainsi, l’archétype de l’événement de la Pentecôte se présente devant l’humanité, depuis des siècles, comme l’image de l’individualité la plus libre, sous le signe de l’union qui illumine et de l’éternité dans l’esprit - passé - présent - futur.

Cet archétype s’est cependant obscurci. Le contenu du christianisme fut occulté par les nécessités de l’évolution de l’humanité. Le christianisme devait, initialement, pénétrer bien plus la vie du sentiment et de la volonté que la vie cognitive, il devait ancrer et intérioriser la foi et la force d’amour des hommes. Cette évolution eut son apogée dans le christianisme médiéval. La force de foi des scolastiques, l’ardeur des mystiques, la piété des moines avaient fait renaître et avaient profondément ancré l’être du Christ dans le cœur des hommes. Seuls quelques initiés purent conserver la compréhension réelle, et la connaissance du Christ et de Ses cheminements divins - depuis le monde spirituel, en passant par l’expérience de la mort, jusque dans l’humanité et l’entité de la Terre.

Dans un premier temps, la grande masse des chrétiens vécut, avec le Christ guérisseur, une relation de cœur, renforcée par la foi. Néanmoins, dans la mesure où l’humanité développa les forces de la pensée - particulièrement grâce au progrès de la philosophie et des sciences naturelles -, le temps est venu où la relation de l’homme au Christ dépend de plus en plus de la compréhension des mystères du christianisme. Cela signifie que les questions religieuses doivent trouver des réponses issues d’une conscience et d’une connaissance du monde suprasensible et ne doivent plus être limitées aux doctrines traditionnelles, plus où moins dogmatisées.

Cette approche fut réalisée au début du XXe siècle. Et l’on peut, en toute responsabilité, affirmer qu’elle facilitera à l’avenir la recherche de réponses, inspirées par le christianisme, à des questions vitales comme le sont, par exemple, l’individualité et la communauté.

Nous ne pouvons célébrer la Pentecôte sans contempler, en pleine conscience, l’esprit qui, après deux mille ans d’histoire du christianisme, commence à réaliser ce que le Christ guérisseur a prédit en disant : « J'ai encore beaucoup de choses à vous dire, mais vous n’avez pas, à présent, la force de les porter. Mais quand il sera venu, l’Esprit de la vérité, il vous guidera dans la vérité entière ; car il ne parlera pas de son propre chef mais il vous dira ce qu’il entendra et vous annoncera ce qui est à venir » (Évangile de Jean 16, 12 sq.). On ne peut célébrer la Pentecôte, aujourd’hui et maintenant, sans contempler la lumière qui a été transmise, pour notre époque, par des révélations depuis la sphère de l’Esprit, du Saint-Esprit, de l’Esprit de vérité, grâce à cet initié du Christ.

La notion de l’initié s’est perdue de nos jours. L'actuelle conscience intellectuelle, matérialiste et scientifique, peine à imaginer qu’il existe des personnes qui, de par leur destin, leur préparation et leur mission, atteignent une capacité de cognition suprasensible qui leur permette non seulement de percevoir le monde spirituel avec des oreilles et des yeux spirituels, mais encore de comprendre et d’interpréter correctement, à l’aide d’une intelligence supérieure, ces expériences suprasensibles grâce auxquelles se renouvelle pleinement le vécu de la Pentecôte.

Un tel individu est appelé un initié. Rudolf Steiner apparut comme tel dans l’humanité au début du XXe siècle. Quand on apprend à recevoir sans préjugés les révélations qu’il a transmises, on peut ressentir que c’est par l’action du Christ lui-même qu’est apparu cet initié du Christ du XXe siècle. Nous sommes conduits à rechercher quelles réponses l’anthroposophie est capable d’offrir au problème de l’individualité humaine et de la communauté humaine ; des réponses qui soient en accord avec le monde spirituel et qui émanent d’un esprit de Pentecôte. Ce qui provient de la sphère du Christ vivant et omniprésent nous illumine véritablement, car cela éclaire les zones de notre conscience humaine et terrestre, conscience obscurcie par le processus caractérisé ci-dessus.

Friedrich Benesch (1907 – 1991), prêtre de la Communauté des chrétiens originaire de Roumanie, était scientifique et théologien de formation. Pendant environ vingt ans, il a été enseignant et directeur du Séminaire des prêtres à Stuttgart.

Ce texte est un extrait d'une conférence publiée dans un numéro spécial de la revue « Perspectives chrétiennes » (2012) - www.editions-iona.com

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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