Du sens des épreuves
Pierre Lienhard - Prêtre
Notre réaction face à un malheur quelconque est, plus ou moins consciemment, celle des amis de Job qui, devant sa déchéance spectaculaire, lui répètent sous trente-six formes : pour que tout cela te tombe dessus, tu dois avoir péché ; tu dois te scruter toi-même pour trouver comment tu as mérité cela.
Ce point de vue est malheureusement conforté par l'enseignement des Églises qui, à travers les siècles, nous ont appris que la mort est « le salaire du péché », et que, dans la foulée, toutes les maladies et tous nos malheurs sont la punition de notre éloignement de Dieu. N'est-il pas normal, dès lors, de penser qu'en nous rapprochant de Dieu nous éloignons de nous les ennuis, les signes de la « colère » de Dieu ?
Nous avons, certes, raison de penser que la foi, la confiance profonde dans le Christ et dans les forces d'amour qui se sont manifestées en lui, nous apporte une santé nouvelle, des forces qui, par-delà l'équilibre intérieur, se répercutent jusque dans le domaine concret de la vie et de la santé.
Mais nous oublions trop facilement que les épreuves, le « travail » et les efforts, sur le plan intérieur comme sur le plan extérieur, sont non pas tant une punition qu'une grâce, un moyen de salut ! Comment apprendrions-nous quelles sont les volontés divines, les justes règles du jeu, si les conséquences néfastes de nos égoïsmes et de notre inconscience ou aveuglement ne nous instruisaient pas ? Comment apprendrions-nous à progresser si les circonstances de la vie terrestre ne nous obligeaient pas à évoluer, en travaillant tant sur le plan extérieur qu'intérieur ? A-t-on jamais vu quelqu'un qui, au seuil de la mort, regrette les efforts, extérieurs ou intérieurs, qu'il a dû faire durant sa vie ? Ne regrette-t-il pas plutôt ce qu'il n'a pas fait ?
Quant à « l'efficacité » du christianisme, elle est directement dépendante du contact intime que l'on peut avoir avec le Christ, qui n'a pas, lui, hésité à se charger de la condition et de la problématique humaines, par amour, par intérêt réel pour l'humanité, alors qu'il était un dieu, dans les conditions de la vie divine (dont nous ne savons pas grand-chose, si ce n'est que la mort n'y existe pas). La qualité d'un « chrétien », c'est-à-dire de quelqu'un qui a pour maître le Christ, se remarque surtout dans la manière dont il accepte les efforts, les épreuves que son destin lui propose : non pas en fataliste simplement, qui courbe l'échine en disant : « c'était écrit ; c'est la volonté de Dieu », mais en collaborateur du Christ, sachant que les efforts qui nous sont demandés, quels qu'ils soient, ont un sens, et contribuent à mettre du positif, de la compréhension réelle, de l'amour, à la place des conséquences négatives de l'égoïsme. Le Mal est à l'œuvre, et l'apôtre Paul parle du « mystère du chaos », de l’anarchie « qui doit paraître » avant que la victoire du Christ ne soit accomplie (II Thess. 2:1-8). Nous souffrons, et l'humanité souffre, dans ce contexte, des douleurs d'enfantement, et nous aurons à faire appel, de plus en plus profondément, à l'aide et à la présence du Christ pour développer les forces de compréhension, de clarté d'esprit et d'amour qui nous permettront de préparer, à travers les ténèbres et le chaos qu'engendrent les forces adverses, la cité spirituelle rayonnante que l'Apocalypse nomme la Jérusalem céleste, où les pensées divines éclaireront tous les citoyens.
L'exemple de Louis Braille est frappant : devenu aveugle à l'âge de trois ans, il a su faire « fructifier » son propre malheur en inventant l'écriture Braille, qui rend d'innombrables personnes handicapées à la vie sociale*.
Dans la Création de Dieu, chaque créature, céleste ou terrestre, a sa place et son rôle à jouer. Le rôle de l'homme est d'apprendre l'amour, c'est-à-dire de chercher à comprendre les créatures et de trouver la manière dont il peut servir l'harmonie de l'ensemble de la création.
* Louis Braille. Jakob Streit. Editions Iona
Extrait de « Perspectives chrétiennes » (2003)