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Vivre avec les défunts      

Georg Dreissig

La question de savoir s'il y a une vie après la mort s'impose aujourd'hui avec force dans la conscience des gens. Les réponses sont diverses et variées. Certains se contentent de dire : « J'attends ; quand je serai mort, je verrai bien si cette vie existe ou non ». En réalité, si la vie après la mort n'avait aucune influence sur notre vie terrestre actuelle, on pourrait se contenter d'une telle constatation.

Ce qui ne nous affecte pas n'a pas lieu d’éveiller notre curiosité. La question que nous souhaitons explorer n'est donc pas : y a-t-il une vie après la mort ?  Mais plutôt : cette vie après la mort, existe-t-elle déjà avant la mort ? Et de quelle manière, en tant qu'êtres terrestres, y participons-nous, ou comment y accéder ? Car seule une vie qui existe déjà peut se poursuivre au-delà de la mort.

Le fait que cette question ne soit pas nouvelle, qu’il y ait toujours eu des personnes ayant eu connaissance de cette possibilité et aspirant à une telle vie, est illustré dans l'Évangile avec le jeune homme riche, qui demande au Christ : « Que dois-je faire pour acquérir la vie éternelle ? ». (Mc 10,17-23).

Une idée de la vie que mènent les défunts nous est donnée lorsque nous observons les deux « gestes » fondamentaux marquant les seuils de notre existence : la naissance et la mort.

En naissant, un être spirituel prend possession de la matière et la façonne de manière tout à fait personnelle, individuelle ; il s'approprie une partie du monde, même si elle est infime, afin d'expérimenter et de révéler sa propre nature à travers elle.

Le contraire se produit dans la mort. Ce qui est devenu corps terrestre se dissout, est rendu au monde terrestre : on renonce ainsi à la possibilité de se manifester personnellement, de révéler son essence sous une forme limitée et fermée. Le défunt s'intègre en tant qu’élément dans des ensembles plus vastes : il remet son corps à la terre, il unit son être spirituel au monde des esprits.

Nous constatons en permanence en nous-mêmes que le geste fondamental de la naissance se prolonge dans la vie. Nous nous étonnons souvent de la puissance avec laquelle notre personnalité cherche à s’imposer, de la combativité que manifeste notre volonté pour défendre un point de vue, et de la souffrance que nous ressentons lorsque notre opinion est ignorée ou que l’une de nos impulsions est négligée. Ainsi nous pouvons aussi nous attendre à ce que le geste qui se manifeste dans la mort se prolonge dans la vie au-delà de la mort, et que le contenu de la conscience ne soit pas l’expérience de notre propre être, mais avant tout la volonté d’autres êtres emplissant la conscience des défunts.

C'est ce qu'expose Rudolf Steiner, à qui l'on doit une multitude d’indications sur la vie des défunts 1 :

« Nous nous immergeons dans le monde spirituel, en devenant conscients, par rapport aux êtres des hiérarchies supérieures, qu’ils nous connaissent, qu'ils « nous pensent ». Nous nous sentons intégrés en eux, nous nous sentons perçus par les anges, les archanges, les esprits de la personnalité, comme les règnes minéral, végétal et animal se sentent perçus par nous ».

« On vient donc en aide aux morts en leur communiquant, juste après leur mort, quelque chose qui leur rappelle des qualités, des expériences, etc. qui étaient les leurs. On favorise ainsi la force de la connaissance de soi ».

Nous avons là des indications très concrètes sur l'existence des défunts, dont la conscience de soi n'est pas aussi développée que la nôtre, et sur leur capacité à percevoir d'autres êtres et à répondre à leurs impulsions. Et ce qui est dit ici sur la relation des défunts avec les êtres du monde supérieur s'applique également à leur relation avec nous, les vivants sur terre, à la différence près que nous ne sommes généralement pas conscients de cette relation. Ils sont également prêts à répondre à nos impulsions et à faire ce qui vit dans notre volonté.

Rudolf Steiner décrit à nouveau à quel point cette relation est intime :

« On peut dire, en ce qui concerne tout ce qui est vécu dans le règne humain, que le mort est encore beaucoup plus intimement lié aux hommes dans le domaine de l'âme. C'est là qu'il se trouve lui-même. Une âme avec laquelle le mort entre en contact apprend à la connaître comme s'il était lui-même en elle ».

 

Comment nous ouvrir à la présence des défunts dans notre vie ?

Beaucoup parmi ceux qui restent en arrière se désolent intérieurement de ce que leur cher défunt ne leur apparaisse pas, qu’ils n’en rêvent pas. Celui qui a pris conscience du fait que les défunts ne se manifestent pas du tout à notre manière, en tant qu’individualités, mais qu'ils vivent avec nous, qu'ils participent à l'action d'autres êtres, celui-ci se préoccupera plutôt de créer cette possibilité.

Quelles actions accomplissons-nous, auxquelles les morts peuvent prendre part ? Que faisons-nous avec une participation si profonde de l’âme que les défunts puissent en faire l'expérience ?

Cela peut commencer par la perception d'un ciel bleu qui éveille la joie dans notre âme, par la contemplation d'un arbre qui se pare de feuilles d’or en automne. Tout ce qui suscite la participation, une émotion de l'âme, peut être vécu par les défunts.

Si nous cultivons les possibilités d’être ensemble avec les morts, sans rien vouloir mais en nous offrant, en partageant nos richesses terrestres, ne soyons pas surpris si nous réussissons soudain quelque chose qui nous semblait peu maîtrisable ; nous pouvons même escompter qu'après avoir apaisé notre âme, nous parviennent des réponses à certaines questions qui nous semblaient insolubles. En réfléchissant à un problème, nous ne sommes plus seuls avec nous-mêmes ; nous entamons effectivement un dialogue avec ceux qui nous ont précédés, mais qui ne s'expriment pas face à nous comme des individualités, mais à travers nos propres pensées, nos propres sentiments.

Dans le rituel des obsèques de la Communauté des chrétiens, on évoque le repos dans lequel l'âme retourne après la mort, de la lumière à laquelle l'esprit s'unit désormais. Chaque fois que nous essayons de créer ces conditions, d'atteindre la paix de l'âme, de ressentir la lumière du monde spirituel au-dessus de nous ou dans notre âme, nous nous unissons à ce royaume.

Pour cela il n'y a pas « d’espace de pratique » plus enrichissant que la participation au culte. C'est là que l'âme peut vraiment s'apaiser, que la lumière de l'esprit peut vraiment rayonner – pour nous et pour les défunts – et que la bénédiction et la compassion des défunts fluent dans notre agir. Ce n'est pas un hasard si l'Acte de consécration de l’homme demande si peu d'activité extérieure à ceux participant à la célébration. Une activité intérieure est nécessaire, émanant d'une âme « en repos »  – c'est-à-dire une âme qui cherche à participer au bien de manière vraiment non-égoïste, sans rien vouloir pour elle-même – afin que la bénédiction du monde spirituel puisse rayonner.

nous expérimentons l’état « d’être mort », la vie que la mort ne nous volera pas, en nous laissant guider dans notre agir par le fait de nous sentir regardés par des êtres supérieurs, d’être « pensés » par eux. Là où l'âme devient calme, là où luit la lumière du monde spirituel, nous pouvons être certains de la présence créatrice des morts, certains de leur « force protectrice ».

C'est le sacrifice que nous apportons, la richesse que nous pouvons offrir pour prendre part à la vie intemporelle. Le trésor que nous acquérons ainsi dans le monde de l'esprit est la communion avec les défunts. Ils imprègnent nos actions et nos aspirations des impulsions qu'ils reçoivent eux-mêmes en se sachant regardés par les êtres du monde spirituel. Les morts unissent nos actions à celles du monde divin.

Extraits tirés de Stunde des Todes, Stunde der Geburt.
1999. Ed. Urachhaus

Traduit/adapté par Philia Thalgott

 

[1] Les extraits dans ce texte figurent dans un ouvrage cité par G. Dreissig: « Das Leben nach dem Tot und sein Zusammenhang mit der Welt der Lebenden. 13 Vorträge ». 1993.  Frank Teichmann.

 

 

 

 

 

 

 

 

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